Nous allons maintenant étudier le cas des transformateurs triphasés, en commençant par supposer que ceux-ci sont formés d’un assemblage de trois transformateurs monophasés ; cette hypothèse nous permettra d’utiliser le modèle classique de transformateur monophasé et de construire le modèle du transformateur triphasé par assemblage de sous-composants déjà connus.
Remarque : Dans le modèle usuel de transformateur monophasé, le primaire et le secondaire ne jouent pas des rôles symétriques : on place traditionnellement l’impédance magnétisante au primaire, et l’impédance série au secondaire. Les modèles de transformateurs triphasés que nous allons obtenir par cette approche ne seront donc pas symétriques non plus, et seraient différents si nous inversions le sens du modèle de transformateur monophasé, ou si nous adoptions un modèle de transformateur monophasé dans lequel le primaire et le secondaire jouent des rôles symétriques.
Nous allons commencer par étudier le cas du transformateur étoile-étoile, qui constitue un cas un peu particulier, avant de nous intéresser aux autres types de couplages.
Transformateur étoile-étoile
On considère un transformateur étoile-étoile YY0 constitué de trois transformateurs monophasés que nous modéliserons de façon usuelle. Les impédances magnétisantes forment une charge étoile équilibrée, que nous allons ignorer temporairement et réintégrer en fin de calcul, de même que les impédances séries au secondaire qui forment une ligne équilibrée à quatre conducteurs (avec un neutre d’impédance différente par rapport celle des phases). Les non-idéalités ayant été ainsi écartées, il ne nous reste plus qu’à étudier le cas du transformateur étoile-étoile idéal.Mise en équations en coordonnées usuelles
Les équations sont simplement : \begin{equation} \begin{cases} V_A – V_N = \alpha (V_A’ – V_N’) \\ V_B – V_N = \alpha (V_B’ – V_N’) \\ V_C – V_N = \alpha (V_C’ – V_N’) \\ I_A’ + \alpha I_A = 0\\ I_B’ + \alpha I_B = 0\\ I_C’ + \alpha I_C = 0\\ I_A + I_B + I_C + I_N = 0 \\ I_A’ + I_B’ + I_C’ + I_N’ = 0 \end{cases} \end{equation} soit sous forme matricielle \begin{equation} \begin{cases} V_{ABC} – V_N \, \mathbf{1} = \alpha (V_{ABC}’ – V_N’ \, \mathbf{1}) \\ I_{ABC}’ + \alpha \, I_{ABC} = 0\\ \mathbf{1}^\top I_{ABC} + I_N = 0 \\ \mathbf{1}^\top I_{ABC}’ + I_N’ = 0. \end{cases} \end{equation} Le problème compte 16 variables qui sont toutes des variables de ports et qui sont réparties en 4 triplets triphasés et 4 variables isolées. Il compte par ailleurs 8 équations, répartis en 2 blocs triphasés d’équations et 2 équations isolées. La matrice possède la structure circulante, et les sous-matrices \(3 \times 3\) qui y interviennent vérifient \(\beta = \gamma\) au sens de la remarque 3 : on s’attend donc à ce que les schémas direct et inverse soient identiques.Changement de base sur les triplets de variables triphasées
On effectue le changement de base sur les triplets de variables triphasées : \begin{equation} \begin{cases} F \, V_{0id} – V_N \, \mathbf{1} = \alpha (F \, V_{0id}’ – V_N’ \, \mathbf{1}) \\ F \, I_{0id}’ + \alpha \, F \, I_{0id} = 0\\ \mathbf{1}^\top F \, I_{0id} + I_N = 0 \\ \mathbf{1}^\top F \, I_{0id}’ + I_N’ = 0. \end{cases} \end{equation}Changement de base sur les blocs triphasés d’équations
On effectue ensuite le changement de base sur les blocs triphasés d’équations : \begin{equation} \begin{cases} V_{0id} – V_N \, F^{-1} \, \mathbf{1} = \alpha (V_{0id}’ – V_N’ \, F^{-1} \, \mathbf{1}) \\ I_{0id}’ + \alpha \, I_{0id} = 0\\ \mathbf{1}^\top F \, I_{0id} + I_N = 0 \\ \mathbf{1}^\top F \, I_{0id}’ + I_N’ = 0, \end{cases} \end{equation} soit, tous calculs faits \begin{equation} \begin{cases} V_0 – V_N = \alpha (V_0′ – V_N’) \\ V_d = \alpha V_d’ \\ V_i = \alpha V_i’ \\ I_0′ + \alpha \, I_0 = 0 \\ I_i’ + \alpha \, I_i = 0 \\ I_d’ + \alpha \, I_d = 0 \\ 3 \, I_0 + I_N = 0 \\ 3 \, I_0′ + I_N’ = 0. \end{cases} \end{equation} Ce système se décompose en trois sous-systèmes indépendants ; le système direct \begin{equation} \begin{cases} V_d = \alpha V_d’ \\ I_d’ + \alpha \, I_d = 0, \end{cases} \end{equation} le système inverse \begin{equation} \begin{cases} V_i = \alpha V_i’ \\ I_i’ + \alpha \, I_i = 0 \end{cases} \end{equation} qui est bien identique au système direct, et le système homopolaire \begin{equation} \begin{cases} V_0 – V_N = \alpha (V_0′ – V_N’) \\ I_0′ + \alpha \, I_0 = 0\\ I_0 + \tilde{I}_N = 0 \\ I_0′ + \tilde{I}_N’ = 0. \end{cases} \end{equation}Schéma électrique symétrique
Le système direct et le système inverse peuvent être interprétés comme les deux circuits identiques qui sont représentés sur la figure ci-dessous :
Remarque : Le schéma direct montre que lorsqu’on alimente ce transformateur au primaire par une tension directe, on obtient au secondaire une tension directe en phase avec celle du primaire : son indice horaire est zéro, d’où l’appellation YY0.

Réintégration des non-idéalités
En réintégrant les non-idéalités au primaire, où les impédances magnétisantes forment une charge étoile équilibrée, et au secondaire, où les impédances série forment une ligne équilibrée, on obtient le schéma présenté sur la figure suivante :
Transformateur triangle-étoile

Mise en équations en coordonnées usuelles
Les équations en coordonnées usuelles sont les suivantes: \begin{equation} \begin{cases} V_A – V_B = \alpha (V_A’ – z \, I_A’ – V_N’) \\ V_B – V_C = \alpha (V_B’ – z \, I_B’ – V_N’) \\ V_C – V_A = \alpha (V_C’ – z \, I_C’ – V_N’) \\ \alpha I_A + I_A’ = I_C’ \\ \alpha I_B + I_B’ = I_A’ \\ \alpha I_C + I_C’ = I_B’ \\ I_A’ + I_B’ + I_C’ + I_N’ = 0, \end{cases} \end{equation} soit sous forme matricielle et en réintroduisant la matrice \(S\) définie par l’équation 1.3, \begin{equation} \begin{cases} V_{ABC} – S \, V_{ABC} = \alpha (V_{ABC}’ – z \, I_{ABC}’ – V_N’ \, \mathbf{1}) \\ \alpha \, I_{ABC} + I_{ABC}’ = S^\top \, I_{ABC}’ \\ \mathbf{1}^\top \, I_{ABC}’ + I_N’ = 0. \end{cases} \end{equation} Le problème comporte 14 variables qui sont toutes des variables de ports, parmi lesquelles 4 triplets triphasés et 2 variables isolées. Il compte par ailleurs 7 équations réparties en deux blocs triphasés d’équations et une équation isolée. On vérifie facilement que la matrice possède la structure circulante. La matrice \(S\) ne vérifie pas \(\beta = \gamma\) au sens de la remarque 3 : on s’attend donc à ce que les schémas direct et inverse soient conjugués.Changement de base sur les triplets de variables triphasées
On effectue le changement de base sur les triplets triphasés de variables : \begin{equation} \begin{cases} (I_3 – S) \, F \, V_{0id} = \alpha (F \, V_{0id}’ – z \, F \, I_{0id}’ – V_N’ \, \mathbf{1}) \\ \alpha \, F \, I_{0id} + F \, I_{0id}’ = S^\top \, F \, I_{0id}’ \\ \mathbf{1}^\top \, F \, I_{0id}’ + I_N’ = 0. \end{cases} \end{equation}Changement de base sur les blocs triphasés d’équations
On effectue maintenant le changement de base sur les deux blocs triphasés d’équations : \begin{equation} \begin{cases} (I_3 – F^{-1} \, S \, F) \, V_{0id} = \alpha (V_{0id}’ – z \, I_{0id}’ – V_N’ \, F^{-1} \, \mathbf{1}) \\ \alpha \, I_{0id} + I_{0id}’ = F^{-1} \, S^\top \, F \, I_{0id}’ \\ \mathbf{1}^\top \, F \, I_{0id}’ + I_N’ = 0. \end{cases} \end{equation} Sachant que $$ I_3 – F^{-1} \, S \, F = \begin{bmatrix} 0 & 0 & 0 \\ 0 & 1-a & 0 \\ 0 & 0 & 1-a^2 \end{bmatrix} \quad \mbox{et} \quad F^{-1} \, \mathbf{1} = \begin{bmatrix} 1 \\ 0 \\ 0 \end{bmatrix} $$ que $$ I_3 – F^{-1} \, S^\top \, F = \begin{bmatrix} 0 & 0 & 0 \\ 0 & 1-a^2 & 0 \\ 0 & 0 & 1-a \end{bmatrix} $$ et que $$ \mathbf{1}^\top \, F = \begin{bmatrix} 3 & 0 & 0 \end{bmatrix}, $$ on obtient : \begin{equation} \begin{cases} V_0′ – V_N’ = z \, I_0′ \\ V_i = \frac{\alpha}{(1-a)} \, (V_i’ – z I_i’) \\ V_d = \frac{\alpha}{(1-a^2)} \, ( V_d’ – z I_d’) \\ I_0 = 0 \\ \alpha I_i + (1-a^2) I_i’ = 0 \\ \alpha I_d + (1-a) I_d’ = 0 \\ 3 I_0′ + I_N’ = 0. \end{cases} \end{equation} On observe bien le découplage attendu en un système direct \begin{equation} \begin{cases} V_d = \frac{\alpha}{1-a^2} \, ( V_d’ – z I_d’) \\ I_d + \frac{1-a}{\alpha} I_d’ = 0, \end{cases} \end{equation} un système inverse \begin{equation} \begin{cases} V_i = \frac{\alpha}{1-a} \, (V_i’ – z I_i’) \\ I_i + \frac{1-a^2}{\alpha} I_i’ = 0 \end{cases} \end{equation} et un système homopolaire, dans lequel nous effectuons le changement de variable \(I_N’ \longrightarrow \tilde{I}_N’\) : \begin{equation} \begin{cases} V_0′ – V_N’ = z \, I_0′ \\ I_0′ + \tilde{I}_N’ = 0 \\ I_0 = 0. \end{cases} \end{equation}Schéma électrique
Le système d’équations direct peut être interprété comme celui du transformateur monophasé non-idéal représenté sur la figure suivante, composé d’un transformateur monophasé complexe idéal et d’une impédance \(z$\).

Remarque :
Le fait que les rapports de transformation, celui du modèle direct et celui du modèle inverse, soient conjugués, était attendu : cela découle de la remarque 3 dans le cas où \(\beta \neq \gamma\) (les coefficients des systèmes direct et inverse sont alors, deux à deux, des nombres complexes conjugués).
On peut aussi arriver à la même conclusion de façon beaucoup plus simple : pour calculer l’indice horaire d’un transformateur en mode direct, on dessine un triplet triphasé direct \(V_{ABC}\) dans le plan en mettant \(V_A\) à midi, on détermine graphiquement \(V’_A\) en utilisant la nature du couplage, et on lit l’heure indiquée par \( V’_A\). Si l’on cherche ensuite à calculer l’indice horaire de ce même transformateur en mode inverse, on fera le même raisonnement en partant cette fois d’un triplet triphasé inverse \(V_{ABC}\), ce qui revient par rapport au cas précédent à permuter \(V_B\) et \(V_C\) ; par conséquent, toute la suite sera symétrique par rapport à l’axe vertical qui indique midi, et la valeur de \(V_A’\) que l’on obtiendra en fin de calcul sera donc le conjugué de la valeur que nous avions obtenue dans le calcul en mode direct.

Réintégration des impédances magnétisantes
Les trois impédances magnétisantes, que nous avons pour le moment laissées de côté, forment une charge triphasée équilibrée en triangle dont nous savons qu’elle est caractérisée par les impédances directe et inverse \(Z_d = Z_i = \frac{Z}{3}\), et par une admittance homopolaire nulle. Le schéma symétrique complet du transformateur triangle-étoile formé de trois transformateurs monophasés, après réintégration des impédances magnétisantes, est présenté sur la figure ci-dessous :
Modélisation par la méthode des solutions particulières
Nous avions déjà illustré cette méthode de modélisation alternative en montrant, dans le cas des charges étoile et triangle équilibrées, qu’elle permettait d’aboutir de façon assez rapide au modèle symétrique d’un composant. Illustrons de nouveau cette méthode dans le cas du transformateur triangle-étoile formé de trois transformateurs monophasés.
On commence par chercher une solution purement directe :
$$ V_{ABC} = (V_d, a^2 V_d, a V_d), \quad I_{ABC} = (I_d, a^2 I_d, a I_d), \quad \mbox{etc}. $$
On se concentre sur la phase A, sachant que la situation sera la même (au déphasage près) sur les deux autres. L’équation du transformateur monophasé pour ce qui concerne la tension, sachant que \(V_N’\) est nul par hypothèse, est
$$ (1-a^2) V_d = \alpha (V_d’ -z \, I_d’). $$
Pour ce qui concerne le courant, sachant que le courant dans l’impédance magnétisante de A vers B est \(\frac{1-a^2}{Z} V_d\) et le courant dans l’inductance magnétisante de A vers C est \(\frac{1-a}{Z} V_d\), on a
$$ I_d = \frac{1-a^2}{Z} V_d + \frac{1-a}{Z} V_d + \frac{1}{\alpha} a I_d’ – \frac{1}{\alpha} I_d’. $$
On retrouve ainsi les mêmes équations directes qu’en passant par l’écriture du système usuel et par le changement de variables :
\begin{equation}
\begin{cases}
V_d = \frac{\alpha}{1-a^2} (V_d’ -z \, I_d’) \\
I_d = \frac{3}{Z} V_d + \frac{a-1}{\alpha} I_d’.
\end{cases}
\end{equation}
Le cas du schéma inverse est très similaire. Pour le schéma homopolaire, toujours en se concentrant sur la phase A uniquement, l’équation du transformateur monophasé pour la tension est
$$ V_0′ – z \, I_0′ – V_N’ = 0. $$
Enfin, sachant que le courant dans les inductances magnétisantes est nulle, l’équation du transformateur monophasé pour le courant donne
$$ I_0 = 0 $$
et la loi des noeuds au secondaire donne enfin
$$ 3 I_0 + I_N’ = 0. $$
On retrouve bien le même système homopolaire que par la méthode classique.
Sommaire
Partie 1 : Coordonnées usuelles et coordonnées symétriques
Partie 2 : Modélisation d’un composant triphasé équilibré passif général
Partie 3 : Modélisation symétrique des composants triphasés usuels
3.1.1 Charge étoile équilibrée
3.1.2 Charge triangle équilibrée
3.1.3 Cas d’une charge couplée équilibrée : le transformateur étoile-triangle avec secondaire à vide
3.2.1 Ligne équilibrée simple à trois conducteurs
3.2.2 Ligne équilibrée simple à quatre conducteurs
3.2.3 Ligne équilibrée à trois conducteurs avec couplages capacitifs entre conducteurs
3.2.4 Ligne équilibrée à quatre conducteurs avec couplages capacitifs entre conducteurs
3.2.5 Agrégation de lignes successives.
3.3 Transformateurs triphasés formés de trois transformateurs monophasés identiques
3.3.1 Transformateur étoile-étoile
3.3.2 Transformateur triangle-étoile
(travail en cours : publication prévue sur les mois de janvier à mars 2025)