2.1 Variables
2.1.1 Variables triphasées et variables isolées
On considère un composant électrotechnique triphasé, c’est-à-dire auquel sont associés \(n\) triplets de variables complexes (Il s’agit généralement de variables de potentiel ou de courant, mais on pourrait aussi imaginer par exemple un triplet de flux magnétiques dans les trois colonnes d’un transformateur, si (pour une raison ou pour une autre) l’on souhaite expliciter ces flux magnétiques dans le modèle.).
Notre composant est supposé passif ; on exclut donc temporairement le cas des sources, qui sera traité à part dans la partie 3.8.
On note ces variables \(X^1_{ABC}\), \(X^2_{ABC}\)… l’indice \(ABC\) suggérant que la première variable du triplet est associée à la phase \(A\), le deuxième à la phase \(B\) et le troisième à la phase \(C\).
Remarque :
Cette notation est un peu abusive car, dans certains cas, cette association n’est pas évidente ; par exemple, dans le cas du triplet des courants dans un enroulement en triangle, chaque courant est plutôt associé à une paire de phase (et à une orientation au sein de cette paire). Dans ce cas de figure, il faut garder en tête que \(X_{ABC}\) représente par exemple :
- non pas « le courant associé à la phase A, respectivement B, respectivement C » ;
- mais plutôt : « le courant qui va de A vers B, respectivement de B vers C, respectivement de C vers A » (ou toute autre convention).
À ce composant peuvent également être associées d’autres variables qui ne constituent pas un triplet triphasé : courant entrant dans un point neutre, etc. On les appelle les variables isolées et on les regroupe dans un vecteur \(y\).
2.1.2 Variables internes et externes
Certaines variables triphasées seront externes, c’est-à-dire qu’elles constitueront les variables de port des ports triphasés de notre composant : pour tout composant triphasé, on aura ainsi toujours au minimum un triplet triphasé de variables de potentiel (« \(V_{ABC}\) ») et un triplet triphasé de variables de courant (« \(I_{ABC}\) ») ; et éventuellement plusieurs paires de tels triplets, si le composant possède plusieurs ports triphasés, comme dans le cas d’une ligne ou d’un transformateur.
D’autres variables triphasées peuvent être internes, comme le cas du triplet des courants dans un triangle.
De même, certaines variables isolées peuvent être externes, comme le courant qui entre dans un port de neutre (sorti), et d’autres internes, comme le potentiel d’un point neutre non-sorti.
2.2 Équations
2.2.1 Hypothèse d’invariance par permutation circulaire
Notre composant est supposé équilibré, ce qui signifie intuitivement qu’il se comporterait exactement de la même manière si l’on renommait ses phases « B, C, A » ou « C, A, B » au lieu de « A, B, C », autrement dit si l’on effectuait des permutations circulaires des identifiants des trois phases. Le modèle du composant ainsi permuté serait donc mathématiquement équivalent au modèle du composant original.
Remarque :
Dans cette opération, tous les triplets triphasés doivent être renommés simultanément : on renommera par exemple dans l’ordre \(B\), \(C\), \(A\) à la fois les variables de potentiel et de courant du port primaire d’un transformateur triangle-étoile, et les variables de potentiel et de courant de son port secondaire, et les courants dans l’enroulement triangle, qui forment un triplet triphasé de variables internes. Les variables associées au point neutre de l’étoile, qui n’appartiennent pas à un triplet triphasé, ne seraient en revanche pas affectées.
2.2.2 Blocs triphasés d’équations et équations isolées
À notre composant sont également associées des équations, linéaires par hypothèse, dont certaines forment elles-mêmes naturellement des blocs de trois équations que nous appellerons également des blocs triphasés d’équations. Par exemple, si l’on modélise une charge en étoile, on va écrire trois équations similaires, chacune associée à l’une des branches de l’étoile ; ces trois équations formeront un bloc triphasé.
Remarque :
Comme pour les variables, on associe souvent mentalement la première équation à la phase A, la deuxième à la phase B et la troisième à la phase C. C’est assez naturel mais un peu abusif, puisqu’il faut garder en tête que ces équations ne feront généralement pas uniquement intervenir des variables associées à la phase A : il peut en effet exister des couplages entre les phases.
D’autres équations seront isolées, au sens où elles n’appartiendront pas à un bloc triphasé. Dans le modèle d’une charge sans point neutre ou à neutre non-sorti, par exemple, on trouvera certainement l’équation \(I_A + I_B + I_C = 0\), qui n’appartiendra pas à un bloc triphasé d’équations.
En notant \(m\) le nombre de blocs triphasés, le système linéaire aura donc la forme suivante :
\begin{equation}
\label{eq:forme-generale-sys-lineaire}
\begin{bmatrix}
A_1^1 & \dots & A_1^n & A_1 \\
\vdots & & \vdots & A_2 \\
A_m^1 & \dots & A_m^n & A_m \\
A^1 & \dots & A^n & A \\
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
X_{ABC}^1 \\
\vdots \\
X_{ABC}^n \\
y
\end{bmatrix}
= 0,
\end{equation}
où l’on a placé :
- dans le vecteur des variables, les triplets de variables triphasées en premier et les variables isolées en dernier ;
- et dans le système d’équations, les blocs triphasés d’équations en premier, et les équations isolées en dernier.
Le second membre est nul car le composant est passif par hypothèse.
2.2.3 Matrices à structure circulante
Un bloc d’équation triphasé d’indice \(i \in \{1, \dots m\}\) dans la matrice ci-dessus est dit circulant lorsque :
- chacun des blocs \(A_i^j\) (\(j \in \{1, \dots n\}\)) qui apparaît dans ce bloc est une matrice circulante,
- le bloc \(A_i\) vérifie \(S^\top A_i = A_i\) où \(S\) est la matrice de décalage définie plus haut dans ce document ; autrement dit, lorsque toutes les colonnes de \(A_i\) sont des multiples de \(\mathbf{1}\).
On dit que la matrice toute entière « possède la structure circulante » lorsque :
- tous ses blocs triphasés d’équations sont circulants,
- et \(\forall j \in \{1,\dots n\} : A^j S = A^j\) ; autrement dit, lorsque toutes les lignes de \(A^j\) sont des multiples de \(\mathbf{1}^\top\).
Supposons maintenant que la matrice possède la structure circulante, et effectuons une permutation circulaire sur les phases du composants en renommant « B, C, A » les phases anciennement appelées « A, B, C ». Les équations du composants permuté sont :
\begin{equation}
\begin{bmatrix}
A_1^1 & \dots & A_1^n & A_1 \\
\vdots & & \vdots & A_2 \\
A_m^1 & \dots & A_m^n & A_m \\
A^1 & \dots & A^n & A \\
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
S X_{ABC}^1 \\
\vdots \\
S X_{ABC}^n \\
y
\end{bmatrix}
= 0
\end{equation}
soit de manière équivalente
\begin{equation}
\begin{bmatrix}
A_1^1 S & \dots & A_1^n S & A_1 \\
\vdots & & \vdots & A_2 \\
A_m^1 S & \dots & A_m^n S & A_m \\
A^1 S & \dots & A^n S & A \\
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
X_{ABC}^1 \\
\vdots \\
X_{ABC}^n \\
y
\end{bmatrix}
= 0
\end{equation}
ou encore, en exploitant le caractère circulant des matrices \(A_i^j\) :
\begin{equation}
\begin{bmatrix}
S^\top A_1^1 & \dots & S^\top A_1^n & A_1 \\
\vdots & & \vdots & A_2 \\
S^\top A_m^1 & \dots & S^\top A_m^n & A_m \\
A^1 S & \dots & A^n S & A \\
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
X_{ABC}^1 \\
\vdots \\
X_{ABC}^n \\
y
\end{bmatrix}
= 0.
\end{equation}
En multipliant chaque bloc triphasé d’équations par la matrice inversible \(S\), on voit que ce système est équivalent à
\begin{equation}
\begin{bmatrix}
A_1^1 & \dots & A_1^n & S A_1 \\
\vdots & & \vdots & S A_2 \\
A_m^1 & \dots & A_m^n & S A_m \\
A^1 S & \dots & A^n S & A \\
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
X_{ABC}^1 \\
\vdots \\
X_{ABC}^n \\
y
\end{bmatrix}
= 0.
\end{equation}
Sachant que par hypothèse \(S A_i = A_i\) (\(\forall i \in \{1, \dots m\}\)) et \(A^j S = A^j\) (\(\forall j \in \{1, \dots n\}\)), ce système d’équations qui caractérise le composant permuté est exactement le même que celui du composant original. Autrement dit, si la matrice possède la structure circulante, alors le composant associé vérifiera la propriété d’invariance par permutation circulaire des grandeurs triphasées.
Remarque :
Il est bien sûr possible de faire autrement : il existe une infinité de manières équivalentes, toutes valides, d’écrire un système linéaire, et elles ne présenteront certainement pas toutes la structure circulante. On peut par exemple écrire initialement le système sous la forme circulante, qui est la plus naturelle, puis le prémultiplier par une matrice carrée inversible quelconque ; ceci nous donnera un système linéaire équivalent, qui modélisera notre composant de façon toute aussi juste, mais dans lequel la structure circulante aura été détruite ; on n’aura même plus de « blocs triphasés d’équations », pour commencer. Libre à nous de passer ensuite en coordonnées symétriques si on le souhaite, mais cela ne présentera guère d’intérêt : on quittera une matrice de structure quelconque pour aboutir à une autre. Au contraire, nous allons voir que si la matrice d’origine possède la structure circulante, alors la matrice que l’on obtient après le changement de variables possédera une jolie structure.
2.3 Diagonalisation
Supposons que notre composant soit modélisé par l’équation \eqref{eq:forme-generale-sys-lineaire} dans laquelle la matrice possède la structure circulante, et passons en coordonnées symétriques.
2.3.1 Changement de base pour les variables triphasées
Au sens strict, passer en coordonnées symétriques consiste à changer de base les variables triphasées \(X^j_{ABC}\) (\(j \in \{1,\dots n\}\)). Le problème devient :
\begin{equation}
\begin{bmatrix}
A_1^1 & \dots & A_1^n & A_1 \\
\vdots & & \vdots & \vdots \\
A_m^1 & \dots & A_m^n & A_m \\
A^1 & \dots & A^n & A \\
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
F & 0 & \dots & 0 & 0 \\
0 & F & \dots & 0 & 0 \\
\vdots & & & \vdots & 0 \\
0 & 0 & \dots & F & 0 \\
0 & 0 & \dots & 0 & I
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
X_{0id}^1 \\
\vdots \\
X_{0id}^n \\
y
\end{bmatrix}
= 0,
\end{equation}
où \(I\) représente la matrice identité de la dimension de \(y\).
Remarque :
Le changement de variables ne concerne que les triplets de variables triphasées, c’est-à-dire les \(X^j_{ABC}\) ; la variable \(y\) qui rassemble les variables isolées, elle, est inchangée.
De façon équivalente, on peut écrire :
\begin{equation}
\begin{bmatrix}
A_1^1 F & \dots & A_1^n F & A_1 \\
\vdots & & \vdots & \vdots \\
A_m^1 F & \dots & A_m^n F & A_m \\
A^1 F & \dots & A^n F & A \\
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
X_{0id}^1 \\
\vdots \\
X_{0id}^n \\
y
\end{bmatrix}
= 0.
\end{equation}
2.3.2 Changement de base pour les blocs triphasés d’équations
Notre système est maintenant représenté en coordonnées symétriques, certes, mais nous n’allons pas nous arrêter là car nous n’avons toujours pas exploité la propriété de diagonalisation des matrices circulantes par la matrice de Fortescue ; et nous n’avons donc toujours pas fait apparaître la moindre matrice diagonale. Pour cela, une deuxième opération est nécessaire : appliquer également le changement de variables aux blocs triphasés d’équations, c’est-à-dire pré-multiplier tout notre système par la matrice inverse de celle que nous venons d’introduire. Par analogie avec la terminologie utilisée par les variables, les trois nouvelles équations de chaque bloc seront appelées « l’équation homopolaire », « l’équation inverse » et « l’équation directe ». Le système devient :
\begin{equation}
\begin{bmatrix}
F^{-1} A_1^1 F & \dots & F^{-1} A_1^n F & F^{-1} A_1 \\
\vdots & & \vdots & \vdots \\
F^{-1} A_m^1 F & \dots & F^{-1} A_m^n F & F^{-1} A_m \\
A^1 F & \dots & A^n F & A \\
\end{bmatrix}
\times
\begin{bmatrix}
X_{0id}^1 \\
\vdots \\
X_{0id}^n \\
y
\end{bmatrix}
= 0.
\end{equation}
2.3.3 Conséquences du double changement de base
Nous venons de faire apparaître \(nm\) blocs diagonaux de taille \(3 \times 3\) dans notre système. C’est ce qui rentabilise le changement de variables : si nous nous étions contentés de la première opération, c’est-à-dire si nous avions effectué le changement de base sur les variables triphasées seulement et pas sur les équations triphasées, alors nous serions certes passés en coordonnées symétriques ; mais la structure de nos équations ne s’en serait pas spécialement trouvée améliorée.
Une dernière observation est que, au vu de la structure particulière des matrices \(A_i\) (dont les colonnes sont des multiples de \(\mathbf{1}\)) et des matrices \(A_j\) (donc les lignes sont des multiples de \(\mathbf{1}^\top\)),
- les deux dernières colonnes des matrices \(A^j F\) seront nulles, ce qui signifie que les équations isolées ne feront intervenir que des variables isolées (terme \(y\)) et des variables homopolaires, à l’exclusion des variables directes et inverses.
- Les deux dernières lignes des matrices \(F^{-1} A_i\) seront nulles, ce qui signifie que les équations inverses et directes ne feront pas intervenir les variables isolées \(y\).
Remarque :
On peut très bien appliquer le changement de variables de Fortescue à n’importe quel composant qui fait intervenir des variables triphasées, et non pas seulement à ceux qui présentent la propriété d’invariance par permutation des phases et que l’on peut modéliser sous la forme d’une matrice à structure circulante. C’est typiquement ce que nous ferons lorsque nous modéliserons des défauts. Dans ce cas, l’opération de changement de base sur les équations ne donnera pas un résultat diagonal et il ne sera donc pas très utile de le réaliser.
2.4 Interprétation électrique de la diagonalisation
2.4.1 Découplage du modèle d’un composant triphasé équilibré
Les variables inverses n’apparaissent que dans les équations inverses ; les variables directes, que dans les équations directes ; et les variables homopolaires et isolées, que dans les équations homopolaires et isolées. L’aboutissement de notre changement de variable, sur les variables triphasées et sur les blocs triphasés d’équations, à partir d’une matrice qui possède la structure circulante, est donc un système linéaire découplé, dans lequel on peut regrouper entre elles :- d’une part toutes les équations inverses, pour former un système linéaire indépendant qui ne porte que sur les variables inverses, et que l’on appellera le « modèle inverse » ;
- d’autre part, toutes les équations directes, pour former un système linéaire indépendant qui ne porte que sur les variables directes, et que l’on appellera le « modèle direct » ;
- et enfin, toutes les équations homopolaires et isolées, pour former un système linéaire indépendant qui ne porte que sur les variables homopolaires et isolées, et que l’on appellera simplement « le système homopolaire » pour faire court, mais dont il ne faudra pas oublier qu’il implique aussi les variables isolées.
2.4.2 Modèles unifilaires et modèles monophasés
Le circuit inverse ne fera intervenir que des potentiels et des courants inverses, comme s’il constituait un circuit à un seul conducteur représentant uniquement la composante inverse de la phase A du circuit original. On désignera donc ce circuit comme « unifilaire ». De même, le circuit direct sera unifilaire. En revanche, le circuit homopolaire fera intervenir à la fois les variables homopolaires et les variables isolées, notamment celles associés au conducteur de neutre quand il existe : dans ce cas, le circuit homopolaire sera « monophasé », par opposition à « unifilaire », c’est-à-dire composé de deux conducteurs.2.4.3 Découplage d’un réseau formé de composants équilibrés
Si tous les composants d’un réseau sont symétriques, et en faisant abstraction du cas des sources qui n’ont pas encore été traitées mais dont on verra qu’elles possèdent également la propriété de découplage, alors le circuit électrique du réseau symétrique complet sera lui-même constitué de trois composantes indépendantes. Pour cette raison, les électrotechniciens disent souvent que « la théorie des composantes symétriques permet de représenter un réseau triphasés sous la forme de trois réseaux (unifilaires ou monophasés) équivalents ».2.4.3 Découplage d’un réseau formé de composants équilibrés
Si tous les composants d’un réseau sont symétriques, et en faisant abstraction du cas des sources qui n’ont pas encore été traitées mais dont on verra qu’elles possèdent également la propriété de découplage, alors le circuit électrique du réseau symétrique complet sera lui-même constitué de trois composantes indépendantes. Pour cette raison, les électrotechniciens disent souvent que « la théorie des composantes symétriques permet de représenter un réseau triphasés sous la forme de trois réseaux (unifilaires ou monophasés) équivalents ». Attention : cette propriété n’est vraie que si tous les composants (passifs) qui forment le réseau sont équilibrés, hypothèse que la plupart des électrotechniciens semblent joyeusement ignorer quand ils évoquent la théorie des composantes symétriques. Dans le cadre de l’étude des courants de court-circuit notamment, qui constitue l’application la plus commune de la théorie des composantes symétriques, on étudie généralement des circuits déséquilibrés car tous les défauts usuels le sont, à l’exception du défaut triphasé franc ; or, dans ce cas, la propriété de découplage n’est absolument pas vérifiée. Les composants équilibrés formeront certes des portions de réseaux où le découplage s’applique, mais ces différentes portions de réseaux seront bien couplées entre elles par les équations du défaut (non-équilibré) ; et le problème, dans l’ensemble, formera bien un unique système couplé d’équations.
2.5 Approche alternative pour la modélisation symétrique d’un composant équilibré
Pour obtenir « le » (un) modèle symétrique d’un composant, on part normalement des équations en coordonnées usuelles, les seules que l’on puisse écrire par inspection de l’objet que l’on modélise, et on effectue un changement de variables. De plus, dans le cas où ce composant est (structurellement) invariant par permutation des phases et où l’on aura alors pris soin d’écrire ses équations usuelles sous la forme d’une matrice qui possède la structure circulante, on pourra effectuer sur les équations triphasées le même changement de base que sur les variables triphasées, ce qui fera apparaître trois sous-systèmes d’équations découplés. C’est, du moins, l’approche que nous avons présentée jusqu’ici.
Dans le cas où le composant est équilibré, on peut néanmoins imaginer une approche différente pour aboutir à son modèle en coordonnées symétriques. Cette approche alternative consiste chercher successivement des familles de solutions particulières ; On commence ainsi par supposer que le composant est dans un état purement direct, autrement dit on cherche des solutions dans lesquelles \(V_d\) et \(I_d\) sont quelconques et où toutes les autres variables du problème sont nulles, puis on cherchera de la même manière une solution purement inverse, et enfin une solution homopolaire.
À première vue, c’est une mauvaise idée, puisque nous venons d’ajouter de nombreuses équations supplémentaires qui, de manière générale, sur-contraignent le problème. Par exemple, dans le cas de la charge étoile à neutre sorti, qui caractérisée par 4 équations en dimension 8, nous venons d’ajouter 6 équations (en l’occurrence, la nullité de 6 variables) à un problème en dimension 8 qui en possédait déjà 4 et qui n’avait donc que 4 degrés de liberté. Notre problème se retrouve donc surcontraint, avec 10 équations linéaires en dimension 8, et on s’attendrait donc de façon générale à ce que sa seule solution soit la solution nulle.
Cependant, nos équations supplémentaires n’ont pas été ajoutées au hasard, et il existera en fait bien des solutions non-nulles : celles qui respectent les équations du modèle direct. Celui-ci est en effet indépendant des deux autres modèles (le modèle inverse et le modèle homopolaire) et n’est donc pas affecté par la fixation à zéro des variables qui sont impliquées dans ces deux autres modèles. Nous allons donc aboutir à des équations liées et peut-être à des équations triviales (\(0=0\)) qui, bien qu’elles dépassent en nombre la dimension de l’espace, auront un ensemble de solution non-réduit à \({0}\). Si nous parvenons à caractériser ce sous-espace de façon non-redondante, typiquement en extrayant de nos équations liées un sous-ensemble d’équations indépendantes, alors nous aurons trouvé des équations (libres) qui caractérisent le système direct.
Après avoir effectué le même travail pour le système inverse, puis pour le système homopolaire, on rassemblera les différentes familles de solutions particulières que l’on a trouvées, ce qui revient à rassembler en un seul système d’équations les équations (libres) que l’on a identifiées dans chacun des trois cas où nous avons recherché des solutions particulières. Ce système d’équations constituera un modèle en coordonnées symétriques du composant étudié.
En pratique, on n’a même pas besoin de passer explicitement par l’écriture des équations en coordonnées usuelles, il suffit de les avoir en tête : pour chercher les équations du modèle direct, par exemple, on peut se contenter de partir du schéma électrique (au sens usuel) du composant étudié et de ne placer sur ce schéma que des inconnues directes. Ainsi par exemple, on ne placera pas sur le schéma des potentiels inconnus \(V_A\), \(V_B\) et \(V_C\), mais à la place des potentiels inconnus \(V_d\), \(a^2 V_d\) et \(a V_d\), ce qui conduit à n’introduire qu’une seule inconnue et non pas trois ; idem pour les courants, etc. On écrira ensuite les équations électriques que l’on aura normalement écrites en coordonnées usuelles, mais dont les inconnues seront des grandeurs directes \(V_d\), \(I_d\) etc.
Ce faisant, on s’efforcera d’éviter d’écrire des équations qui sont liées à celles que l’on a déjà écrites. Cela revient en fait généralement à n’écrire qu’une seule équation parmi les trois qui forment un bloc triphasé d’équations, disons la première (c’est-à-dire traditionnellement l’équation qui porte sur la phase A). Les deux autres équations du bloc triphasé seront liées à la première ; plus précisément, elles seront identiques à un facteur \(a^2\) ou à un facteur \(a\) près. Les équations isolées, elles, doivent être toutes écrites normalement.
Cette méthode, avec un peu d’habitude, permet d’aboutir à un modèle en coordonnées symétriques du composant étudié de façon extrêmement rapide et sans jamais écrire explicitement ses équations en coordonnées usuelles (!). Elle sera illustrée dans la suite de ce document sur quelques exemples particuliers, mais pas de façon systématique ; nous lui préférons en effet, au moins à titre pédagogique, la première approche que nous avons présentée, bien que celle-ci soit un peu plus pédestre.